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Document extrait du magazine CHORUS, Les Cahiers de la Chanson
N°14 - HIVER 1995 / 96 - Janvier - Février - Mars

(Merci à Valérie LEHOUX pour son autorisation de publier son article sur le site.)
(J'ai essayé de respecter la mise en page du magazine.)

DANIEL BALAVOINE

La voix de la passion

 

1978: Daniel Balavoine crève le plafond des hit- parades avec «Le chanteur»; un texte noir, désespéré, que l'on prendra pour une parodie. Il a vingt-six ans.
1986 : il n'a pas encore trente-quatre ans lorsqu'il se tue lors d'une mission humanitaire dans les plaines arides de l'Afrique.
En huit ans, il était devenu l'un des artistes les plus populaires du pays. Une anti-star qui poussait ses coups de gueule, qui occupait la scène avec une énergie hors du commun. Il voulait faire un rock mélodique, devenir une espèce de Peter Gabriel français. Il voulait aussi remuer les esprits.
Dix ans après sa mort, une association d'aide à l'Afrique porte toujours son nom.
La bouille ronde, les yeux noirs, la voix aiguisée comme un couteau... il avait l'allure d'un adolescent un peu boudeur, un peu provoc. Sa carrière ?
Elle ne sera plus qu'une suite de succès, de coups de gueule, de coups de coeur.
Dix albums, des centaines de milliers d'exemplaires vendus, des tournées dans toute la France, des rapports pas toujours roses avec les critiques. Balavoine qui séduit, Balavoine qui irrite. Il s'en moquait. Sa vie était synonyme de passion.
Il l'a perdue en aidant les autres...
Presque une mort de héros.
Pour Balavoine, la chanson aura d'abord été le moyen de prendre la parole.
Ce qu'il voulait avant tout, c'était dire, témoigner, s'engager. Pour un peu, il se serait lancé dans une tout autre voie...

   

 

Retour aux années lycée. La famille Balavoine a quitté Alençon (où Daniel est né le 5 février 1952) pour Pau; c'est là qu'il prépare le bac. Du haut de ses quinze ans, la politique le titille. Il rêve du Palais Bourbon : devenir député, agir dans la cité... Mais les rêves d'adolescence se briseront vite, un certain mois de mai 68. «Daniel participait à des groupes d'étudiants, mais il a été terriblement déçu, se souvient sa soeur Claire. Il a vu la politique rimer avec pouvoir et honneurs. Il était écoeuré.» D'espérances en désillusions, l'enthousiasme du jeune militant s'émousse devant l'ambition des leaders parisiens. La politique, ce n'est pas fait pour lui... Il faudra trouver autre chose.

En 75, c'est le premier album : De vous à elle en passant par moi. On parle de promesses, d'un talent qui germe, mais le succès l'ignore. Rebelotte en 77 pour Les Aventures de Simon et Gunther, un album "concept". A la manière d'un Bowie, qui vient de sortir Heroes, le disque est tout entier consacré à Berlin. Mais le succès reste, tout au plus, d'estime. Daniel a vingt-cinq ans, il a fait deux albums et essuyé deux échecs commerciaux. Il est prêt à jeter l'éponge.


LA COMPLAINTE D'HENRI

Nous sommes en 1978. Yves Chouard est guitariste, il a croisé Daniel au Gibus, il l'y retrouve souvent pour quelques boeufs nocturnes.

Ce sera la musique. 69-70 : première guitare, premiers accords, premiers groupes, premières galères. C'est l'époque des balloches du samedi soir, des MJC, des salles pas franchement pleines... Scénario classique : au bout de deux ans, il monte à Paris dans l'espoir de lendemains plus glorieux. Il chante au sein du groupe Présence et accroche en 1971 un bout du rêve avec un premier 45 tours chez Vogue ("La lumière et la folie", "Le jour s'est levé"), puis un second en 73, cette fois sous son propre nom (avec cinq titres de son cru : "Lire un livre", "La confiture", "Tout va bien", "Viens vite" et "Même sans tes fleurs")... qui passent totalement inaperçus.

Avec Léo Missir, sept. 78 (Ph. F.Aboulker)

Quand Daniel enregistre son troisième album, le musicien est de la partie. "Il travaillait toujours de la même façon: il arrivait avec des mélodies et il improvisait les textes au dernier moment. Je me souviens d'une séance... nous avions fini ce qui était prévu, nous allions sortir du studio, quand Daniel s'est assis au piano. Devant nous, il a improvisé le texte du "Chanteur" : "J'me présente, je m 'appelle Henri"..." Autobiographique peut-être, rageur sûrement, le tube est phénoménal. Balavoine est enfin lancé.

Et puisqu'il faut bien gagner sa vie, Daniel chante pour les autres : dans la troupe de La Révolution française, une comédie musicale au Palais des Sports (73), ou fondu dans les choeurs de Patrick Juvet. Avec lui, il foule les planches magiques de l'Olympia, part en tournée et enregistre en 1974 (sur Chrysalide, l'album Barclay de juvet) l'une de ses chansons, "Couleurs d'automne". La chance commence à lui sourire. Léo Missir, directeur artistique chez Barclay, remarque sa voix si particulière, étonnamment haute et fluide. Rencontre clé: Missir en fait son poulain.

 


19/3/80 (Ph. Goldberg / Sygma)

J'ai d'abord apprécié le chanteur de la colère et de la tendresse, qui avait su trouver des mots et des sons en accord avec les sentiments de la jeunesse de son temps.
J'ai ensuite rencontré et apprécié le révolté et l'homme de coeur, celui qui avait mis sa notoriété au service de la plus grande des causes, celle de la justice et de la lutte contre la faim dans le Monde. La jeunesse de France n'oubliera pas de sitôt celui qui lui a donné une si grande leçon de vie, en allant au bout de ses passions.
François Mitterrand
(Propos exclusifs pour Paroles et Musique, n° 66, janvier 1987).

 

Comme un bonheur n'arrive jamais seul, Balavoine est embarqué dans la foulée sur le vaisseau de Starmania. Les poings serrés, dans la peau du loubard Johnny Rockfort, il lance son menaçant "Quand on arrive en ville". Crédible, malgré son visage d'éternel poupin. Fin 79, tout le monde connaît l'artiste.
On va bientôt découvrir l'homme. Le 19 mars 80, Daniel se retrouve nez à nez avec François Mitterrand sur un plateau de télévision. Tout de go. il dénonce: « les jeunes sont désespérés et les politiciens ne s'y intéressent pas »... Le lendemain, le coup de gueule de l'impertinent est dans tous les journaux. "Bala" vedette médiatique. Le voilà devenu, sans le vouloir, tête de file de la nouvelle génération. Chanteur pensant et leader dans l'âme, un peu malgré lui.

FIDÉLITÉS

La fusée Balavoine est irrémédiablement propulsée sur l'orbite du succès. Les albums s'enchaînent, les scènes aussi (deux passages coup sur coup à l'Olympia, en 80 et en 81), les succès s'empilent en une impressionnante collection: "Mon fils ma bataille", "Je ne suis pas un héros ", "Lipstick polychrome", "Vendeurs de larmes", "La vie ne m'apprend rien", "Vivre ou survivre", Balavoine est un battant, un grand travailleur, la routine l'ennuie. Alors, pour ne pas laisser filer le temps, il se lance dans de nouveaux paris. En 82, sûr de lui, il réserve le Palais des Sports. La salle fait cinq mille places, on lui prédit une catastrophe... il joue à guichets fermés et sidère les critiques. "On aurait dit un boxeur, raconte Yves Chouard. Il courait le long de la scène, il passait de la guitare aux claviers, il avait une relation très physique au public ".

 

 

 


Avec Michel Berger, 9/6/82 (Ph. A. Resplaudin / Barclay)

ROCK-ATTITUDE

Et la musique dans tout cela? Malgré une ou deux incursions dans le cinéma ("Alors heureux!" des frères Jolivet en 1979 et "Qu'est-ce qui fait craquer les filles?" de Michel Vocoret en 1982), Daniel ne la perd jamais de vue. Et pourtant, il n'a pas la reconnaissance qu'il souhaite. Il pense faire du rock... la presse spécialisée lui refuse le label, le cantonnant dans cette rubrique "variétés" qu'elle méprise tant. "Daniel pensait pouvoir convaincre avec des preuves : disques, concerts, se souvient Jean-Jacques Goldman. (Paroles et Musiques (nouvelle série) n°25, janvier 1990) Nous en parlions. J'avais essayé de lui expliquer qu'il s'agissait plus d'une attitude que de musique, plus de ce que l'on ne fait pas que de ce que l'on fait. (..) Daniel ne calculait pas".
En 1984, Les Enfants du rock finiront tout de même par l'inviter. Il y voit une consécration.

Mais ce qui reste le plus présent à l'esprit du guitariste, c'est la générosité de Daniel, " à s'inquiéter toujours pour nous, à nous écouter, à partager la vie de tournée dans le bus qui nous conduisait aux concerts ". Fidélité professionnelle et souci des autres, des mots qui reviennent chez tous ceux qui l'ont côtoyé.
Pas étonnant alors qu'un jour la chanson ne lui suffise plus. Balavoine a la trentaine, plein de colères contre les injustices et des convictions à revendre. Aux côtés d'Harlem Désir, il milite à SOS Racisme, s'inscrit discrètement dans sa ville de Colombes, chante au concert des Potes. Aux côtés de son ami Coluche, il soutient les Restos du Coeur. Aux côtés de Jean-Jacques Goldman, qu'il rencontre sur le fameux Band Aid de Wembley, il fait chanter les artistes français pour l'Ethiopie (La Courneuve en 85). Aux côtés de Thierry Sabine, l'inventeur du Paris-Dakar, qu'il entraîne dans ses aventures humanitaires, il installe des pompes à eau en Afrique. Aux côtés de Michel Berger, il fonde Action Ecole; plus tard, Michel dira: " A l'action, il se donnait à fond, comme il se donnait à fond dans la chanson ".(Paroles et Musique n°66, janvier 1987)

 

BALAVOINE L'AFRICAIN


Janvier 86 (Ph. Guichard / Gamma)

"Nous avons reçu un courrier halucinant, raconte Claire Balavoine. Dans les semaines qui ont suivi la mort de Daniel, des milliers de jeunes nous ont écris. Ils voulaient continuer son action pour l'Afrique, ils organisaient des tombolas, des ventes de cartes postales pour récupérer des fonds... c'était incroyable." Et c'est pour répondre à tous ceux-là que l'Association Daniel Balavoine est née en mars 86. Dix ans plus tard, elle a installé une trentaine de motopompes dans des villages maliens. "Petit à petit, les villageois se prennent en charge eux-mêmes. Ils retrouvent une autonomie alimentaire et économique." L'Association Daniel Balavoine est aujourd'hui forte de plus de 2500 adhérents. Elle n'a jamais réclamé la moindre subvention.

 

Sept. 84 (Ph. L. Vittori / Barclay)

Balavoine était un fou de sport en général, d'automobile en particulier. Deux fois, il avait couru le Paris-Dakar (en 83 et 85). Cette année-là, il le suivait en spectateur, profitant du rallye pour installer des systèmes d'irrigation dans les villages arides. Le 14 janvier 86, lui qui avait si peur de l'avion grimpe dans un hélicoptère avec Thierry Sabine, une journaliste du Journal du Dimanche, le pilote et un technicien. Les conditions météo sont mauvaises. L'engin s'écrase entre le Burkina Faso et le Mali. A trente-trois ans, Balavoine quitte la scène. On n'ose pas croire à cette mort subite et tellement inattendue. « Ça laisse un énorme trou dans le paysage musical français, dira Francis Cabrel (qui lui dédiera plus tard l'une de ses chansons, "Dormir debout"). Il atteignait sa pleine maturité avec le temps et la sérénité... Il y a des gens comme ça qui sont primordiaux". (Paroles et Musiques (nouvelle série) n°25, janvier 1987).
Daniel Balavoine avait ses fans, il avait aussi ses détracteurs. C'était un chanteur autant qu'un homme de conviction. Il assurait -à contre-courant de l'air du temps - que "le français est une langue qui résonne". Il voulait être une sorte de Peter Gabriel à la française. Yves Chouard jure qu'il le serait devenu.


Valérie LEHOUX

A trente-deux ans, Balavoine s'offre un second Palais des Sports. Un an plus tard, "L'Aziza" lui vaut le prix SOS Racisme. Daniel se reprend à rêver, il songe à une carrière internationale. Cet amoureux du son, perfectionniste s'il en est (en sortant de la scène du Palais des Sports, il va écouter, en peignoir, les bandes du concert), veut désormais travailler avec des musiciens anglo-saxons. Ce sera John Woolof, Joe Hammer, Matt Clifford, Andy Scott. Les textes seront en anglais, l'enregistrement est prévu pour 86 à Londres. Il aura donc fallu un accident d'hélicoptère pour que l'histoire se brise.

DES DENTS QUI GRINCENT

Balavoine ne s'embarrassait pas de bonnes manières pour dire ce qu'il avait sur le coeur : face à face télévisé houleux avec François Mitterrand (qu'il soutiendra plus tard), mais aussi maille à partir avec les militaires. En 83, sur le plateau télé de 7/7 il se lance dans une violente diatribe contre les anciens combattants... mal comprise, elle lui vaut en retour une série de manifestations; plusieurs concerts sont même annulés. La même année, Balavoine anime une chronique radiophonique à Paris sur 95,2 FM. Tous les jours, le chanteur se transforme en éditorialiste et, une fois de plus, il égratigne. Ce n'est pas du goût de tout le monde, surtout de la presse.

 

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