Document extrait du magazine CHORUS, Les Cahiers de la Chanson
N°14 - HIVER 1995 / 96 - Janvier - Février - Mars
(Merci à Valérie LEHOUX pour son autorisation de publier son article sur le site.)
(J'ai essayé de respecter la mise en page du magazine.)
DANIEL BALAVOINE La voix de la passion |
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1978: Daniel Balavoine crève le plafond des hit- parades avec «Le chanteur»; un texte noir, désespéré, que l'on prendra pour une parodie. Il a vingt-six ans. |
Retour aux années lycée. La famille Balavoine a quitté Alençon (où Daniel est né le 5 février 1952) pour Pau; c'est là qu'il prépare le bac. Du haut de ses quinze ans, la politique le titille. Il rêve du Palais Bourbon : devenir député, agir dans la cité... Mais les rêves d'adolescence se briseront vite, un certain mois de mai 68. «Daniel participait à des groupes d'étudiants, mais il a été terriblement déçu, se souvient sa soeur Claire. Il a vu la politique rimer avec pouvoir et honneurs. Il était écoeuré.» D'espérances en désillusions, l'enthousiasme du jeune militant s'émousse devant l'ambition des leaders parisiens. La politique, ce n'est pas fait pour lui... Il faudra trouver autre chose. |
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En 75, c'est le premier album : De vous à elle en passant par moi. On parle de promesses, d'un talent qui germe, mais le succès l'ignore. Rebelotte en 77 pour Les Aventures de Simon et Gunther, un album "concept". A la manière d'un Bowie, qui vient de sortir Heroes, le disque est tout entier consacré à Berlin. Mais le succès reste, tout au plus, d'estime. Daniel a vingt-cinq ans, il a fait deux albums et essuyé deux échecs commerciaux. Il est prêt à jeter l'éponge. |
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LA COMPLAINTE D'HENRI |
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Nous sommes en 1978. Yves Chouard est guitariste, il a croisé Daniel au Gibus, il l'y retrouve souvent pour quelques boeufs nocturnes. |
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Ce sera la musique. 69-70 : première guitare, premiers accords, premiers groupes, premières galères. C'est l'époque des balloches du samedi soir, des MJC, des salles pas franchement pleines... Scénario classique : au bout de deux ans, il monte à Paris dans l'espoir de lendemains plus glorieux. Il chante au sein du groupe Présence et accroche en 1971 un bout du rêve avec un premier 45 tours chez Vogue ("La lumière et la folie", "Le jour s'est levé"), puis un second en 73, cette fois sous son propre nom (avec cinq titres de son cru : "Lire un livre", "La confiture", "Tout va bien", "Viens vite" et "Même sans tes fleurs")... qui passent totalement inaperçus. |
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Avec Léo Missir, sept. 78 (Ph. F.Aboulker) | ||||||||||||||||
Quand Daniel enregistre son troisième album, le musicien est de la partie. "Il travaillait toujours de la même façon: il arrivait avec des mélodies et il improvisait les textes au dernier moment. Je me souviens d'une séance... nous avions fini ce qui était prévu, nous allions sortir du studio, quand Daniel s'est assis au piano. Devant nous, il a improvisé le texte du "Chanteur" : "J'me présente, je m 'appelle Henri"..." Autobiographique peut-être, rageur sûrement, le tube est phénoménal. Balavoine est enfin lancé. |
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Et puisqu'il faut bien gagner sa vie, Daniel chante pour les autres : dans la troupe de La Révolution française, une comédie musicale au Palais des Sports (73), ou fondu dans les choeurs de Patrick Juvet. Avec lui, il foule les planches magiques de l'Olympia, part en tournée et enregistre en 1974 (sur Chrysalide, l'album Barclay de juvet) l'une de ses chansons, "Couleurs d'automne". La chance commence à lui sourire. Léo Missir, directeur artistique chez Barclay, remarque sa voix si particulière, étonnamment haute et fluide. Rencontre clé: Missir en fait son poulain. |
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19/3/80 (Ph. Goldberg / Sygma) |
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J'ai d'abord apprécié le chanteur de la colère et de la tendresse, qui avait su trouver des mots et des sons en accord avec les sentiments de la jeunesse de son temps. |
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Comme un bonheur n'arrive jamais seul, Balavoine est embarqué dans la foulée sur le vaisseau de Starmania. Les poings serrés, dans la peau du loubard Johnny Rockfort, il lance son menaçant "Quand on arrive en ville". Crédible, malgré son visage d'éternel poupin. Fin 79, tout le monde connaît l'artiste. |
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FIDÉLITÉS |
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Mais ce qui reste le plus présent à l'esprit du guitariste, c'est la générosité de Daniel, " à s'inquiéter toujours pour nous, à nous écouter, à partager la vie de tournée dans le bus qui nous conduisait aux concerts ". Fidélité professionnelle et souci des autres, des mots qui reviennent chez tous ceux qui l'ont côtoyé. |
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Sept. 84 (Ph. L. Vittori / Barclay) | |||||||||
Balavoine était un fou de sport en général, d'automobile en particulier. Deux fois, il avait couru le Paris-Dakar (en 83 et 85). Cette année-là, il le suivait en spectateur, profitant du rallye pour installer des systèmes d'irrigation dans les villages arides. Le 14 janvier 86, lui qui avait si peur de l'avion grimpe dans un hélicoptère avec Thierry Sabine, une journaliste du Journal du Dimanche, le pilote et un technicien. Les conditions météo sont mauvaises.
L'engin s'écrase entre le Burkina Faso et le Mali. A trente-trois ans, Balavoine quitte la scène.
On n'ose pas croire à cette mort subite et tellement inattendue. « Ça laisse un énorme trou dans
le paysage musical français, dira Francis Cabrel (qui lui dédiera plus tard l'une de ses chansons, "Dormir debout").
Il atteignait sa pleine maturité avec le temps et la sérénité... Il y a des gens comme ça
qui sont primordiaux". (Paroles et Musiques (nouvelle série) n°25, janvier 1987).
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A trente-deux ans, Balavoine s'offre un second Palais des Sports. Un an plus tard, "L'Aziza" lui vaut le prix SOS Racisme. Daniel se reprend à rêver, il songe à une carrière internationale. Cet amoureux du son, perfectionniste s'il en est (en sortant de la scène du Palais des Sports, il va écouter, en peignoir, les bandes du concert), veut désormais travailler avec des musiciens anglo-saxons. Ce sera John Woolof, Joe Hammer, Matt Clifford, Andy Scott. Les textes seront en anglais, l'enregistrement est prévu pour 86 à Londres. Il aura donc fallu un accident d'hélicoptère pour que l'histoire se brise. |
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DES DENTS QUI GRINCENT Balavoine ne s'embarrassait pas de bonnes manières pour dire ce qu'il avait sur le coeur : face à face télévisé houleux avec François Mitterrand (qu'il soutiendra plus tard), mais aussi maille à partir avec les militaires. En 83, sur le plateau télé de 7/7 il se lance dans une violente diatribe contre les anciens combattants... mal comprise, elle lui vaut en retour une série de manifestations; plusieurs concerts sont même annulés. La même année, Balavoine anime une chronique radiophonique à Paris sur 95,2 FM. Tous les jours, le chanteur se transforme en éditorialiste et, une fois de plus, il égratigne. Ce n'est pas du goût de tout le monde, surtout de la presse. |
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