Document extrait du magazine Computer Music numéro 07 Janvier 2000.
Merci à Franck Ernould (auteur de l'article) pour son autorisation de publication sur ce site .
BALAVOINE Côté studio |
![]() |
|
Huit albums studio, deux doubles live : la carrière
discographique de Daniel Balavoine chez Barclay s'étend sur 10 ans tout
juste, de 1975 à 1985, et témoigne d'une progression impressionnante,
tant au niveau de la façon de chanter et des thèmes abordés que de la
production et des arrangements. Une évolution que nous vous invitons à
parcourir avec nous, en compagnie des partenaires en studio de Daniel
à l'époque, Andy Scott et Joe Hammer... |
C'est son frère Bernard, dont la carrière médicale avait pris le pas sur la vocation musicale, qui m'a signé un arrêt de travail afin de me couvrir vis-à-vis de mon employeur parisien, avec qui j'avais un contrat d'exclusivité..". Juvet laisse Daniel chanter en solo sur un titre, Couleurs d'Automne, où il se contente de l'accompagner au piano : une très rare marque d'attention portée par une "vedette" à son choriste... |
||
Andy
Scott |
De retour à Paris, Andy et Daniel squattent le "une pièce" de Bernard, qui habite chez sa copine. Ils se débrouillent pour faire des maquettes avec les moyens du bord : "Lui et moi à la guitare, pas de claviers, et un annuaire pour les grosses caisses, des claquements de main pour les caisses claires. Bref, nous avons terminé nos maquettes, sur le magnéto à bandes de Bernard. La productrice de Juvet, Florence Aboulker, ancienne attachée de presse, avait encore des contacts partout, elle nous a pris sous son aile. Daniel continuait entre-temps à tourner avec Juvet, que je sonorisais dans les chapiteaux et les salles de concert : mon retour au son "scène" depuis la parenthèse Hérouville/Davout !". |
![]() |
La pression monte |
Missir déploie toute sa force de promo pour Le Chanteur: |
L'équipe de musiciens a un peu évolué autour du "noyau Juvet" : à Patrick Dulphy aux guitares acoustiques, Bernard Serre à la basse, Roger Secco à la batterie et au chant, Hervé Limeretz aux claviers, Jean-Paul Batailley à la batterie et aux percussions, Patrick Bourgoin aux cuivres et Guy Balavoine aux choeurs, vient se joindre Colin Swinburn, le guitariste du groupe anglais sus-mentionné autrement dit, le groupe Clin d'oeil. |
Le chanteur est partout
|
|
Nous travaillons alors (1982) sur les premiers gros synthés polyphoniques: Oberheim OB-8, Prophet 5... le reste des instruments étaient encore acoustiques. |
Changement d'équipe |
Un nouveau son ! |
En parallèle, les effets numériques, réverbes et autres, étaient enfin exploitables, AMS et autres ; avec l'arrivée des sons électroniques, synthés et autres, ça donne à Vendeur de larmes une personnalité toute particulière – une sorte de bande-annonce de ce qui va venir derrière...". Une dernière anecdote ? "Les derniers jours du mixage, nous avons senti comme une tension monter dans l'air. Un matin, le patron allemand du studio nous dit "Je dois aller à Barcelone, je ne vous verrai pas finir, merci, bravo et au revoir...". Le lendemain au saut du lit, grosse agitation, plein de villageois autour du studio, et des huissiers en costar/cravate : nous avons alors appris que le boss, installé là depuis trois ans, n'avait jamais payé ses fournisseurs, ses impôts, etc... 3M France avait donc affrété un camion pour récupérer la console MCI, les magnétophones, bref tout ce qui était en leasing et pas payé. Mais nous, nous avions notre disque à terminer ! Heureusement, Joe et moi connaissions du monde chez 3M France, nous avons obtenu un délai de grâce de 48 heures, pendant lesquelles nous avons travaillé jour et nuit pour finir nos titres. Après avoir dormi un peu, quand nous sommes revenus au studio, tout était vide : plus de console ni de magnétos, bien sûr, mais tout le reste aussi avait disparu : les commerçants du village, impayés eux aussi, étaient venus se rembourser "en nature", une lampe, une télévision...". Peu après, Daniel tourne son deuxième film : Qu'est-ce qui fait craquer les filles ? , de Michel Vocoret avec Guy Montagné, Gérard Hernandez... |
Un certain Peter Gabriel...
Côté studio, Balavoine décide en 1983 de se lancer dans la production discographique ! Entre Vendeur de larmes et Loin des yeux... , Daniel produit en Suisse un album de Catherine Ferry, Vivre la musique . Joe Hammer : "On y entend mes boîtes à rythmes Roland TR-808 et Oberheim DMX, ainsi que l'Emulator 1 acheté par Daniel. Nous étions en phase avec l'époque : les Anglais étaient à la pointe dans ce domaine, utilisaient de plus en plus de boîtes à rythmes, et les effets numériques AMS permettaient même de sampler des sons pour les déclencher par la suite". C'est au cours de ces séances, assurées par le trio Bala/Scott/Hammer, qu'arrive un certain John Wooloff, guitariste de son état, appelé à la rescousse pour mettre en boîte un solo de guitare particulièrement difficile. Il s'en tire avec brio : Daniel s'en souviendra... Mais n'anticipons pas : en octobre 1983 sort Loin des yeux de l'Occident , où le travail des sons électroniques est encore plus ciselé. Notre ami Michel Geiss est alors appelé à la rescousse pour réaliser un boîtier de synchro "sur mesure" permettant de synchroniser tous ces engins pourvus de caractéristiques différentes : TR-808, de l'OBX et de la DMX Oberheim, un séquenceur Roland MSQ-700. Andy Scott : "Comme nous avions pris goût aux studios étrangers et qu'on avait toujours beaucoup aimé le groupe Ten CC, nous avons décidé d'aller enregistrer les rythmiques dans leur studio fétiche, Strawberry Studios, au Sud de Londres, puis les voix en Écosse, pour essayer le studio Highland, avant de revenir à Strawberry pour les mixages. C'est la même équipe de musiciens que sur le précédent, Joe était très présent avec moi à la console, et tous les musiciens avaient leur mot à dire : ce qui était très rare à l'époque (et encore aujourd'hui !) dès lors que l'artiste est installé et a des millions d'albums vendus derrière lui...". Sur le titre d'ouverture du disque, Pour la femme veuve qui s'éveille , l'influence de Peter Gabriel est évidente : rien d'étonnant, Daniel l'apprécie beaucoup, la réciproque est vraie, et le passage des rythmes purement électroniques du début aux polyrythmies africaines de la fin du titre (Joe Hammer et Jean-Paul remplissent des dizaines de pistes avec tous les instruments de percussions qu'ils trouvent, qu'Andy prémixe ensuite) reste, encore aujourd'hui, un modèle du genre. L'Afrique, Daniel vient de la découvrir, comme concurrent du Paris-Dakar début 83, et en reste éberlué. La tonalité de ses textes s'en ressent... Là encore, l'album est suivi d'une tournée très high-tech : "En la préparant, Daniel a découvert avec étonnement les premiers VariLite (dispositifs d'éclairage très sophistiqués, permettant une extrême mobilité des faisceaux lumineux), et il a investi beaucoup d'argent avec Régiscène, le prestataire de sons et lumières sur sa tournée, pour qu'ils puissent développer et acheter plus de ces engins", raconte Andy Scott. "Une scène extrêmement nette, sans retours (tous dissimulés dans le grill ou sous la scène), des micros HF sur les guitares et les choristes, un micro serre-tête pour Daniel : que du nouveau pour cette grosse tournée, dont résulte le double live "au Palais des Sports"". |
Nouvelles méthodes
Fin 1982, Peter Gabriel sort un de ses meilleurs albums, Shock The Monkey , qui doit beaucoup au Fairlight CMI : un instrument de musique australien révolutionnaire, mêlant ordinateur, clavier 5 octaves, écran de télé tactile, permettant de "dessiner" des sons à l'écran, d'échantillonner et de relire ce qu'on veut, et de voir affiché, sous forme de partition, ce qu'on vient de jouer. Autant dire, au début des années 80, de la science-fiction ! Éberlué, Balavoine craque fin 1984 : il est un des premiers Français, avec Jean Michel Jarre, à s'acheter un Fairlight CMI II X, qui coûte à l'époque plusieurs centaines de milliers de francs. Dès lors, il se lance à fond dans cette direction. Il aménage un petit studio personnel dans sa maison, où il installe à demeure ses synthés (Oberheim, PPG Wave 2). "Je lui laissais en pension, mes boîtes à rythmes, séquenceurs...", raconte Joe Hammer. "J'ai passé des heures et des heures à découvrir, avec Daniel, les possibilités du Fairlight. Six mois plus tard, nous étions fin prêts pour aller enregistrer l'album !" La méthode de travail adoptée par Daniel pour préparer ce qui va devenir Sauver l'Amour est exactement celle qu'on utilise aujourd'hui, quinze ans plus tard : "J'arrivais chez lui, je jouais des trames rythmiques à la batterie pendant plusieurs minutes, on réécoutait, "Ah, ça c'est intéressant", on samplait, on relisait en boucle... Daniel ajoutait alors des éléments au synthé ou à la guitare, Andy passait et donnait son avis, les morceaux évoluaient, on cherchait de nouveaux sons... Progressivement, l'univers sonore a complètement changé". L'occasion de chambouler une dernière fois l'équipe de musiciens, qui se resserre autour de Joe et de John Wooloff, le guitariste rencontré en Suisse, avec un quatrième musicien : Matt Clifford, un jeune claviers rencontré par Andy sur les concerts de Julien Clerc à Bercy. Autrement dit, une équipe entièrement anglo-saxonne, à part Daniel et Léo, soudée par une cohésion exceptionnelle lors des séances de préparation de l'album... Début juillet, tout ce beau monde s'envole pour l'Écosse, cap sur les studios Highland, avec une configuration plutôt musclée, que nous décrit Joe : "Des pads Tama triggés par un PCP (Percussion Computer Programmer) avec hélas une latence énorme, le Fairlight, le MSQ-700, tous les synthés reliés en MIDI avec la TR et la DMX via un patch MIDI Sycologic, et encore un nouveau boîtier signé Michel Geiss, remercié à ce titre sur la pochette. Il restait encore pas mal de boulot en partant d'Écosse, mais Matt a trouvé plein de sons d'enfer, il avait des synthés rares, des modules perso et n'a pas hésité, dans des samples, à mélanger des sons de provenance différentes, PPG et Oberheim par exemple", raconte le très précis Joe Hammer. "Un album vraiment chiadé, que nous avons mixé au Palais des Congrès, dans le studio qui porte aujourd'hui le nom de Daniel Balavoine, que nous connaissions pour y avoir réalisé un single et des projets avec Jeanne Mas et Frida, la chanteuse d'Abba. Je suis resté avec Andy à la console jusqu'au bout : le mixage prenait de 2 à 3 jours par chanson. Andy et Léo se relayaient : Léo était là au début du mix, Daniel venait pour les rythmiques, Léo revenait pour les couleurs harmoniques, et les deux restaient dès qu'on ouvrait les pistes de voix. C'est ce qu'Andy appelle la tactique du "troisième homme" : il faut toujours quelqu'un de frais pour se rendre compte de l'évolution du mixage et garder le recul...". |
Le chant du cygne Il ne faut pourtant pas croire que Sauver l'Amour est un album "de laboratoire", dont la moindre note est programmée, pesée, jouée par le Fairlight. L'Aziza est un excellent contre-exemple, comme le raconte Joe : "Léo savait depuis le départ que ça allait être LE grand tube. On l'a d'abord programmé dans la lignée du reste de l'album, mais il y avait une sorte de malaise, ça ne prenait pas... Bref, un beau jour, on s'est tous réunis dans le studio, Matt aux claviers a trouvé le riff du début, un son pondu par Daniel chez lui, John a saisi sa basse Steinberg, "3-4", direct ... À la troisième prise, c'était dans la boîte ! Pour le solo de guitare, John a eu beaucoup de mal, on l'encourageait tous depuis la cabine, Matt, moi, Andy... On hurlait "Yeah, John, come on, roll the tape again, man !", un moment merveilleux. Au final, un titre direct, extrêmement naturel, aucune séquence, aucun sample, pas de click, rien ! C'est lors du mixage au Palais des Congrès que Matt a ajouté, à la main, la petite séquence sur trois notes un peu flûtées en contrepoint (vers 0'30, NDR), mixée en retrait sur la moitié du couplet pour lier un peu le tout. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la caisse claire n'est pas un sample, c'est une vraie, baignée avec une réverbe bien synthétique, genre AMS probablement. Quant à la chanson Sauver l'Amour , c'est un festival de samples lus à l'envers, joués en direct sur le clavier du Fairlight". Andy, lui, se souvient d'un autre titre "à problèmes" : " Petite Angèle nous a causé bien des tracas : on n'y arrivait pas, on a bien dû l'enregistrer cinq fois, en changeant les tonalités, le tempo, Joe a fini par ajouter une vraie caisse claire et un vrai charley par-dessus la programmation... Pour l'anecdote, la version mixée est varispeedée, pour la rythmique, d'un ton et demi : on trouvait le tempo idéal, les sons plus sympas comme ça, et Daniel, après bien des essais aussi, a fini par le chanter de façon un peu inhabituelle, en cinq minutes ou presque !". C'est sur cet album que Balavoine maîtrise le mieux sa voix : "Dans la chanson française de cette époque, tirer sur sa voix, façon "chat égorgé", suffisait à faire croire que le chanteur "se donnait", "y allait", "balançait tout"... C'est au fil de sa carrière que Daniel, surtout sur les conseils de Léo Missir, a appris à poser sa voix, à exploiter pleinement son timbre", confie Joe. "Missir s'occupait de l'émotion, Andy du côté "son", et moi je surveillais Daniel, le conseillant dans le côté anglo-saxon, défendant parfois face à Léo ses appogiatures sur les finales ("Ce n'est pas un problème pour moi-a-a"), typiques de sa "dernière période". Sur cet album, Daniel atteint un équilibre subtil entre retenue, côté "chat égorgé", passe des graves aux aigus avec aisance, bref maîtrise sa voix... rien d'étonnant à ce que ce soit après quinze ans de métier : ça vient avec la maturité. Tous les cris, les SOS est un modèle d'expressivité : le vibrato quand il faut, jamais excessif, il retient sa voix ici, il la pousse là, toujours en accord avec le texte...". Le mixage de Sauver l'Amour prend deux mois, mais le jeu en vaut la chandelle : dès sa sortie, l'album truste les radios... un effet que l'accident mortel de Balavoine, le 14 janvier 1986, portera au paroxysme. On ne saura jamais comment Balavoine aurait évolué après cet album marquant, que beaucoup considèrent comme son meilleur. Sans doute aurait-il poussé encore plus loin avec le Fairlight, dont il n'a jamais connu la meilleure version : alors imaginons-le avec des outils d'aujourd'hui, Pro Tools, loops et autres !!! Andy Scott : "Il était question d'un album en anglais, avec des chansons originales : Daniel était déjà allé voir Peter Hammill, qui était très intéressé par ce projet. Daniel serait parti s'installer un an à Londres, pour perfectionner son anglais. L'aboutissement de sa démarche anglo-saxonne, en fait. Arrivé à un point en France à un point où il n'avait plus grand-chose à prouver, ça ne l'aurait pas du tout dérangé de tout reprendre à zéro : ça lui aurait prouvé que ce qu'on faisait était digne des marchés étrangers". Quoi qu'il en soit, c'est une splendide carrière pour un ancien choriste, devenu chanteur à succès sans jamais se compromettre, qui a su développer une façon de travailler et un sens d'équipe uniques. Là où tous rodaient leurs chansons en répétitions avant d'aller en studio, Balavoine a très vite privilégié l'expérimentation, les échanges, les remises en question... Fascination pour les Anglo-Saxons ne signifie pas forcément imitation servile : Balavoine l'a bien compris, et sa méthode de travail de 85 ressemble beaucoup à celle utilisée aujourd'hui en studio, Pro Tools en moins... L'avouerons-nous ? Nous avons pris beaucoup de plaisir à réécouter son intégrale, et la magie de certains titres opère toujours, quinze à vingt ans après. On ne peut pas en dire autant des productions de la plupart de ses contemporains, MIDI ou non... |
Nous n'avons hélas pas réussi à retrouver Léo Missir pour cet article : s'il nous lit, nous lui serions très reconnaissants de nous contacter, via la rédaction, pour interview ultérieure ! Merci à Angélique Legoupil, passionnée de Daniel Balavoine, dont le superbe site Web (http://www.multimania.com/balavoine/ - devenu depuis http://www.dbalavoine.com) et les précisions nous ont bien aidé pour dissiper quelques passages nébuleux lors de l'écriture de cet article. Pour plus de précisions sur le Fairlight CMI : http://www.fairlight.fr/vintage.htm Franck Ernould pour Computer Music |